Depuis dix ans, le France est en retard sur ses voisins d’Europe en matière de développement du télétravail. Dans les pays scandinaves et anglo-saxons, il concerne deux à trois fois plus de salariés.

Le magazine Marianne n° 931 du 20 au 26 février 2015 y a consacré un article et a notamment fait référence au rapport du Centre d’analyse stratégique (CAS) de 2009.

Le télétravail préfigure sous bien des aspects les nouvelles formes du travail de demain, à l’ère du numérique et de la société de la connaissance.

L’un des enjeux majeurs du télétravail est, selon le rapport, de donner une plus grande flexibilité de travail au salarié, « en lui permettant de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle ».

Le rapport explique également que les marges de progression du télétravail résident pour le moment principalement dans la diffusion du télétravail partiel, soit un à deux jours par semaine. Un compromis en adéquation avec une volonté de contribuer au développement durable, et qui effraie sans doute moins les salariés que du télétravail à temps plein, qui les éloignerait de leur environnement social de travail.

Pour se développer pleinement, le télétravail doit répondre à « un double volontariat ». Il serait préjudiciable de vouloir l’encadrer de manière strict (juridiquement) ou de vouloir l’imposer à tout prix selon le rapport. Il est préférable que chaque entreprise le négocie avec les représentants du personnel.

Si en 2008, le télétravail concernait potentiellement jusqu’à 30 % de la main-d’œuvre française – les tâches caractéristiques d’une profession déterminant sa « télétravaillabilité » – en 2015, d’après les projections, le télétravail concernerait potentiellement jusqu’à 50 % de la population active. D’après le rapport, dans les dix prochaines années, la part de télétravailleurs potentiels dans la population active est appelée à augmenter, avec la diffusion, dans la plupart des métiers, des technologies numériques et des changements organisationnels associés.

Le CAS note que les Français ne sont pas suffisamment conscients des possibilités offertes par le télétravail. Si les avantages du télétravail sont nombreux et pour certains évidents, persistent des incertitudes et des craintes. Les aspects psychologiques sont considérables lors de la mise en place d’un projet de télétravail, comme pour toute modification importante des conditions de travail. Ils sont donc à considérer. Certaines craintes prennent souvent racine dans la conception française du travail et dans la nature des relations entre partenaires sociaux.

Ce rapport relève que les principaux blocages sont d’ordre économique et social : le manque de réactivité organisationnelle face au télétravail : management par objectifs, identification des (non)télétravailleurs, indicateurs de performance individuelle et collective, etc. ; les facteurs culturels spécifiques à la France : conception collective du travail « à la française », histoire des relations entre partenaires sociaux, etc. ; le manque de formation des acteurs, qu’il s’agisse des employés, qui sont les télétravailleurs potentiels ou des managers, qui doivent acquérir de nouvelles compétences managériales.

La mauvaise connaissance des responsabilités, les ambiguïtés du cadre juridique et le manque d’incitations fiscales de la part des pouvoirs publics sont les principaux freins de nature juridique et politique. En effet, l’absence de politique fiscale réellement incitative (c’est le cas en France) est un frein important à l’essor du télétravail.

La méconnaissance et la dévalorisation sociale du télétravail, la crainte de travailler plus sans contrepartie sont les principaux freins de nature culturelle et sociale. Les salariés craignent de travailler plus sans contrepartie réelle et de ne pas voir leurs efforts récompensés (attribution de primes et de promotions). Les salariés redoutent également d’être isolés de leur équipe et de la hiérarchie, ce qui annulerait le rôle sociabilisant de l’emploi.

Tout cela est dû à un déficit de reconnaissance du télétravail. De facto, les managers ont souvent l’impression qu’un employé qu’ils ne voient pas travailler ne travaille pas. L’absence de management par objectifs, la peur des dirigeants de perdre le pouvoir et la crainte d’abus sont les principaux freins liés à l’organisation et au management.

La réalité et les enjeux du télétravail sont généralement méconnus et ses avantages sociaux (augmentation de la productivité liée aux TIC ou à l’amélioration des conditions de travail des salariés, diminution des coûts immobiliers) sont sous-estimés par les employés, les employeurs et les pouvoirs publics.

De plus, le télétravail, en tant que mode d’organisation, est desservi par une perception générale négative. Il n’est pas encore accepté comme une forme de travail à part entière par l’ensemble des collaborateurs. Ses utilisateurs préfèrent souvent parler de « nomadisme » ou de « mobilité ». Le télétravail est ainsi assimilé à une absence (congés, maladie ou même chômage). Un télétravailleur à domicile insiste sur le besoin de venir au bureau régulièrement : « sinon, mes voisins vont penser que je suis au chômage ».

Le déficit d’infrastructures, la sécurité des systèmes, la protection des données et la diffusion des TIC auprès des Français sont les principaux freins liés à l’équipement et à la technologie. De plus, un retard technologique existe dans certains territoires qui pourraient pourtant être les premiers bénéficiaires de l’installation de télétravailleurs (territoires ruraux de développement prioritaire et zones de redynamisation urbaine).

Le rapport rappelle qu’il y a une forte corrélation entre l’existence d’infrastructures permettant la connexion à haut débit à l’Internet sur un territoire et le développement du télétravail pour lequel ces ressources techniques sont indispensables. En effet, la nature du travail de certaines professions nécessite d’importants besoins de bande passante, et donc des infrastructures numériques de qualité.

De même l’absence de visibilité du cadre juridique n’a pas favorisé un essor rapide du télétravail en France.

Le rapport met en exergue que les télétravailleurs se déclarent majoritairement satisfaits et disposent généralement de meilleures conditions de travail. Les télétravailleurs ont davantage de maîtrise sur leur activité et sur le contenu de leurs tâches, notamment parce que leur travail est moins prescrit par l’action d’autres collègues. Les tâches elles-mêmes, comme pour nombre d’utilisateurs de TIC en France, sont souvent plus riches, ces outils favorisant une certaine polyvalence du salarié. Ainsi, un télétravailleur sur deux maîtrise ses horaires de travail, deux tiers des télétravailleurs témoignant en outre d’une forte flexibilité de leur temps de travail. Les télétravailleurs sont plus autonomes dans leur travail, et ne se considèrent pas pour autant isolés. Les caractéristiques propres aux télétravailleurs, qui sont souvent des salariés plus qualifiés, plus autonomes et plus expérimentés, expliquent en partie ces résultats.

Si le télétravail a des effets bénéfiques sur la satisfaction des télétravailleurs, il en a également, comme le note le rapport sur la performance des entreprises, sur les émissions de gaz à effet de serre… La diminution des déplacements a pour corollaire la réduction de la pollution urbaine (particules émises par les voitures, ozone) et la diminution d’une partie du coût des maladies respiratoires associées, notamment dans les zones urbaines.

Effet globalement positif du télétravail sur la productivité. Selon une enquête menée auprès de 862 télétravailleurs, le passage au télétravail a permis une augmentation de productivité pour 57 % des salariés. Selon une autre enquête menée dans cinq pays européens, la productivité a augmenté dans plus de 60 % des 30 organisations étudiées. À un niveau plus fin, une augmentation des performances des télétravailleurs a été constatée dans la plupart des cas. Comme l’indique le rapport, plusieurs causes expliqueraient cette augmentation de productivité. Tout d’abord, le télétravailleur est généralement mieux formé que le travailleur resté dans les locaux de l’employeur. Il est aussi en général moins perturbé dans l’exécution de ses tâches (bruit, demandes urgentes du manager, nombreuses sollicitations des collègues, etc.). Il travaille sur des plages horaires plus larges, durant lesquelles il est plus concentré et plus efficace.

L’amélioration générale des conditions de travail (moindres déplacements, meilleure qualité de vie, diminution du stress, équilibre famille/travail, réduction de l’absentéisme) a probablement des impacts socioéconomiques considérables, tant en termes de productivité que de diminution des dépenses sociales, mais qu’il est, d’après le rapport, difficile d’évaluer précisément.

Dans une certaine mesure, l’emploi dans les territoires profite de l’essor du télétravail qui permet l’installation de travailleurs en zone rurale. Ce phénomène est probablement marginal : le télétravail à domicile (ou à 100 % hors des locaux de l’entreprise) concerne moins de 25 % des télétravailleurs et s’adresse à certaines professions particulières (professions libérales, indépendants, chefs d’entreprises et cadres dirigeants de certains secteurs).

Après avoir rappelé les politiques publiques étrangères relatives au télétravail, le rapport a relevé les différentes formes de soutien que peuvent mettre en place les pouvoirs publics :

– soutien financier,

– promotion des bonnes pratiques,

– organisation du dialogue entre les parties,

– amélioration de la diffusion des technologies…

Le soutien des pouvoirs publics peut être financier, en encourageant l’équipement des entreprises et des ménages ou en proposant des déductions fiscales. Dans les années 1990, les gouvernements belge, néerlandais, britannique et suédois ont soutenu l’équipement informatique des ménages et/ou des entreprises, contribuant ainsi au développement de la société de l’information en général et du télétravail en particulier.

Quelques exemples cités dans le rapport : les Britanniques et les Suédois peuvent déduire de leurs impôts les frais liés à l’utilisation de leur domicile comme lieu de travail, par des déductions fiscales en Suède pour la transformation d’une pièce du domicile en bureau, et des déductions fiscales pour les entreprises britanniques prenant en charge les coûts de leurs télétravailleurs (environ 3 livres sterling par semaine), des déductions fiscales pour les particuliers britanniques justifiant les frais supplémentaires liés à l’utilisation du domicile comme lieu de travail… Ou encore en Corée où le gouvernement a mis en place un groupe de travail chargé de réfléchir à d’éventuelles réductions fiscales et à des subventions.

Afin d’identifier et promouvoir les bonnes pratiques, des guides pratiques ont été édités aux États-Unis, au Japon, en Belgique, aux Pays-Bas… En 2009, le gouvernement finlandais a édité un guide indiquant aux entreprises les neuf étapes à suivre pour mettre en œuvre le télétravail avec succès. Des conférences et des campagnes de promotion ont également été organisées pour vanter les bénéfices du télétravail, dans les années 1990 mais aussi plus récemment, notamment au Japon et en Finlande.

Le rapport a très bien rappelé la nécessité de l’existence d’infrastructures accueillant les télétravailleurs que sont les télécentres. Ces derniers ont également été développés dans plusieurs pays. L’impact du télétravail sur la localisation de l’emploi et sur l’aménagement du territoire réside principalement dans le développement des télécentres. Ils ont un rôle à jouer dans les zones périurbaines et rurales, à condition que les initiatives prennent en compte les besoins des utilisateurs locaux. Un soutien aux télécentres nécessite une implication plus forte des pouvoirs publics, qui doit s’appuyer sur les attentes et initiatives locales.

L’essor du télétravail passe donc par une nécessaire implication de tous les acteurs, des actions ciblées de la part des pouvoirs publics, telles que la diffusion des technologies numériques et les campagnes de communication auprès de métiers et/ou branches bien identifiés.

Le rapport conclut sur les facteurs de développement et les cinq facteurs clés de succès d’un projet de télétravail : produire un effort important en matière de communication envers les employés et le management ; faire évoluer le mode de management en passant notamment du concept de « management présentiel » à celui de « management par objectifs » ; investir dans un équipement informatique et dans l’ergonomie du poste de travail à domicile ; disposer d’un cadre légal pragmatique ; cibler les activités susceptibles d’être réalisées en télétravail.

Nous nous faisons l’écho des propos de Zevillage sur la qualité de ce rapport : « Cet état des lieux très précis est beaucoup mieux qu’un “rapport de plus” : c’est un document de travail concret qui permet d’avancer plusieurs recommandations pour développer le télétravail en France ». D’ailleurs celles-ci sont déclinées en mesures, réparties selon quatre axes principaux dont la promotion du télétravail qui est majeure, car les actions de sensibilisation contribuent à faire évoluer les mentalités au sein des organisations. Le déploiement des infrastructures numériques et la diffusion des technologies sont quant à eux des prérequis à l’essor du télétravail.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.